2012 - Kokenchen et Potorik - Haïti
Travaillant beaucoup le papier mâché, nous avions depuis longtemps entendus parler de Jacmel et de son Kanaval. Nous savions que là bas en Haïti, on faisait de grands masques et que le carnaval y était formidable d’énergie et d’inspiration.
Aussi quand Corinne Micaelli, directrice de l’Institut français d’Haïti, nous a invités à venir mettre en place un atelier pour la construction d’un groupe de marionnettes géantes, nous avons sauté sur l’occasion. C’est ainsi que nous nous sommes retrouvés en résidence à la FOSAJ, à Jacmel, durant les quatre semaines précédant le carnaval.
Une équipe hétérogène et soudée
Après avoir publié un appel à candidatures dans le Nouvelliste nous avons constitué une équipe qui réunissait des artistes de Port au Prince, de Jacmel, de Petit Goave et du Cap Haïtien. Il y avait parmi eux des marionnettistes, des sculpteurs, des comédiens, des peintres, des danseurs, des costumiers des carnavaliers, et autant de savoir-faire complémentaires.
Femme Haïtienne - Photo Anne Lescot
L’invention des marionnettes
Un atelier d’écriture, deux jours de discussion et de débats ont permis de définir le thématique du projet, avec l’ensemble des artistes. Rapidement ils ont eu envie de mettre en avant les enjeux de la culture et de l’identité haïtienne dans le processus de reconstruction. Des personnages et une histoire simple ont été imaginés. Certains des protagonistes étaient issus des traditions vodou. Erzuli Dantor, Cousin Zaka et Grand Bwa, allaient respectivement sauver des enfants du séisme, reconstruire le pays et témoigner de la déforestation. Une femme haïtienne et un homme d’affaire étranger, arrivant dans son cargo à bretelles, illustreraient la confrontation entre production locale et denrées importées. En tête Goudou Goudou, un grand squelette tenant dans ses mains la reproduction de deux bâtiments de Jacmel endommagés, personnifierait le séisme.
Nous avons ensuite modelé une centaine de petites maquettes en argile et débattu autour d’elles. Car la création collective a aussi ses limites, et il est par exemple difficile de sculpter une tête à plusieurs. L’étape des maquettes permet donc à chacun, qu’il soit plasticien ou pas, de proposer ses idées. Ainsi les personnages que les marionnettes allaient incarner, leur profils et expressions ont été en quelque sorte élus par l’ensemble des artistes.
Recycler les fatras
Pour pouvoir travailler en équipes, nous avons dessiné les marionnettes à l’échelle sur du papier à petits carreaux avant de se répartir le travail. Nous avions l’habitude de construire les corps avec du tuyau de plastique ou du fil d’acier trempé. Mais rapidement il a paru plus judicieux de créer bustes et bassins en utilisant du bambou fendu, facile à trouver aux environs de Jacmel. Pour les têtes nous avons d’abord ramené de la terre à modeler, puis nous avons confronté nos techniques de papier mâché, et finalement utilisé des sacs de ciment vide et de l’amidon de manioc. Les mains ont été créées en assemblant avec du ruban adhésif, des bouteilles de plastique vides, d’eau minérale ou de soda. Le squelette a été fait de barquettes en polystyrène pour la nourriture récupérées après les repas. Ainsi les marionnettes se sont construites par morceaux, disséminés aux quatre coins de la FOSAJ. À chaque étape on s’est soucié et de la légèreté et de la solidité des éléments. Le travail était éminemment collectif et a occasionné quelques débats. Fallait il laisser les manipulateurs visibles, ou bien les cacher dans les costumes des géants ?
Enfin tous les morceaux ont été assemblés, les articulations et proportions ajustées. Les costumiers pouvaient maintenant prendre les mesures et habiller les géants. Les derniers jours ont été consacrés à la peinture, à la fabrication des accessoires et des perruques, et les marionnettes se sont mises à vivre.
Grand Bwa - Photo Anne Lescot
Dans les rues de Jacmel
Chaque soir les artistes ont pu répéter, apprendre à manipuler ces géants, à dompter ces titans de papier mâché qui allaient leur permettre de danser avec une ampleur nouvelle et de goûter au vertige des grands bras. À l’approche du grand jour, les marionnettes ont commencé à se risquer dans les rues alentour. Les voisins semblaient les apprécier, sauf les petits enfants qui en avaient peur. Elles ont fait leur première sortie officielle à l’occasion du carnaval de Jacmel. Si nos marionnettes ont captivé une partie du public jacmelien, nous qui arrivions de France étions subjugués par le déferlement des groupes masqués.
La semaine suivante fut consacrée à de nouvelles répétitions, aux échauffements de l’équipe et à la réparation ou aux ajustements des marionnettes.
Photo : Anne Lescot
L’échappée belle
Heureux de partir à la découverte d’une autre région du pays, nous avons pris la route avec deux bus transportant l’équipe, précédés d’un camion rempli de marionnettes. L’ambiance était joyeuse, le collectif se mettait enfin réellement en place. Le lieu qui nous avait été réservé pour entreposer le matériel et nous préparer était une bibliothèque située non loin du parcours du carnaval. Après avoir remonté les marionnettes, fait quelques échauffements, nous nous sommes postés sur le bord de la route, où nous avons attendu pour faire notre entrée.
Aux Cayes - Photo Anne Lescot
Des bandes à pieds de toutes sortes défilaient les unes derrières les autres. Groupes de danseurs, ou de papier mâché, d’étudiants comédiens ou de tresé ruban venu du fond des mornes, chaque entité portaient en elle une conviction à la mesure de ce que représentait ce carnaval national qui était retransmis simultanément sur les chaînes nationales mais également de la diaspora. Enfin, le signal vint et nos géants, qui entre-temps avaient été rejoints par une bande de Rara de la ville, pénétrèrent à leur tour le cortège. Tout d’abord un peu timides, les manipulateurs, la musique aidant, sont peu à peu entrés dans la danse. D’une parade assez classique, les échanges avec le public se sont rapidement transformés en jeu. Démon-ciment essayait d’attraper la malheureuse bouteille de Barbancourt, Erzuli Dantor serrait ses enfants contre elle, tandis que Cousin Zaka jouait quelques tours en poussant les voitures des riverains. Puis, un cortège présidentiel fendit la foule, interrompant de fait, notre parade. Qu’importe, nous avons alors décidé de prendre la tangente, de sortir du cadre pour nous enfoncer au hasard des rues adjacentes. Et la foule nous a suivis. Cinquante, cent, deux cents, peut-être trois cents personnes nous accompagnèrent aux sons des vaccines et des tambours Rara, d’une efficacité redoutable. Ce fut une vraie rencontre, aussi riche qu’inattendue. Nous avons alors réalisé que si la foule était au rendez-vous sur le parcours officiel, il y avait tout autant de monde, à quelques encablures, tranquillement installé sur les pas de porte, prêt à rejoindre le cortège impromptu.
Les Grandet
Après le carnaval des Cayes, les artistes se sont à nouveau réunis autour d’un nouvel objectif, poursuivre l’aventure avec ces géants qu’ils avaient façonnés. L’association Grandet était en train de naitre avec l’envie de partager la joyeuse démesure de ses grandes marionnettes.
Une journée de restitution
Le 3 juin 2012, en partenariat avec la Villa Mais d’Ici, le collectif d’Aubervilliers pour Haïti, l’association Grandet, et avec le soutien du collectif Aubervilliers pour Haïti, du réseau Culture Haïti, de la Ville d’Aubervilliers, de Via le Monde, de l’Institut Français d’Haïti et du Fond d’Initiatives Locales d’Aubervillier, nous avons organisé une journée de restitution du projet Kokenchen e Potorik.
Durant cette journée étaient exposées des peintures de l’artiste haïtien Vady Confident, des photos de notre résidence à Jacmel prise par Anne Lescot et des dessins de Sarah Letouzey.
Un conteur et des musiciens haïtiens ont animé la scène de cette journée familiale et conviviale.
Divers films ont été projetés.
Avec la participation de :
Patrice Saint Juste
Joseph Sevenson
Jean Garbaldi
Regina Lazare
Jean Sadrac
Jacques André Gay
Philogene Covin
Marc-Arthur Lamitie
Jean Marie Charles Germeil
Jean-Paul Sylvaince
Pierrot Clerissont
Casimir Junior
Rose-Marie Lamour
Carline Collagéne
Luckner Candio
Dickens Lundy
Pierre Edgar Satyr
Vady Confident
Lionel Charles
Jean Baptiste Clifford
Jean Charles Neslie
Samedi Meger
Jacques Pierre
Michel Candio
Eric Lafont
Kamelo Aladin
Val Gerald
Pierre Maxime
Jean Marc Casimir
Clifford Tranquil
Louis Eddyson
Jean Renold
Alexis John
Esther Collagéne
Jean Pierre Wilbert
Pikolé
Herman Desome
Policarp Jean Bernard
René Renold
Paulette Leroy
Pierre Sady
Ti Pikan
Miriam Chery
Fleur Marie Fuentes
Clodmô
Yabako Konaté
Matisse Wessels
Maurizio Moretti
Christophe Evette
Sarah Letouzey